Les crêtes très aplanies du Haut-Plateau, aux sols limono-caillouteux perméables et de ce fait plus secs, correspondent aux sètchamps, comme on les dénomme dans la région. Les autres sols – sur les pentes, les dépressions et les replats (+/- 3 750 ha) – sont plus imperméables et recouverts d’une couche de tourbe plus ou moins épaisse (Frankard et al. 1998).
Ce contraste entre sètchamps et zones tourbeuses – une des principales caractéristiques de ce plateau – conditionne la répartition et la nature des groupements végétaux qui le peuplent (e.a. Bouillenne 1966 , Froment 1969, Schumacker et Streel 1994, Damblon 1997a et b).
2 – 1 Les zones boisées
Les plantations de résineux
Elles entourent presque complètement, et en général, sans transition, les landes de la Réserve naturelle domaniale (fig. 1.7). Des parcelles d’Epicéas occupent aussi une partie de cette réserve. Mais, depuis les années 1980, ces plantations sont progressivement abattues. Dans la zone d’étude, l’âge des pessières variait entre 5 et 108 ans. Parmi ces plantations, près de 60 % avaient plus de 40 ans.
Vers 25 ans, ces plantations à faible écartement, et d’une même classe d’âge, sont pour la première fois élaguées sur 2 m de haut, puis éclaircies (Collard et Bronowski 1977). Ces éclaircies vont se succéder tous les trois ans jusqu’à la « mise à blanc », vers 80 ans ou plus. Dans les jeunes plantations (moins de 30 ans et, en général, moins de 8 m de haut), très fermées, le sous-bois est pauvre, voire inexistant. Dans les pessières plus âgées et plus ouvertes, la strate herbacée se développe – les espèces les plus constantes étant la Canche flexueuse et la Myrtille commune – et des feuillus s’installent, comme le Sorbier des oiseleurs (fig. 1.8). Mais dans certaines parcelles, les semis naturels d’épicéas peuvent aussi occuper une bonne partie du sous-bois (voir aussi Baar et Snoeck 2000).
Toutes ces plantations de rapport, enfin, sont bordées de coupes-feu au tracé rectiligne et recouverts d’une végétation herbacée provenant d’un mélange pour prairies.
Les semis éoliens d’épicéa et le mitage des landes
Depuis 1957, date de la création de la Réserve naturelle, les landes et les tourbières sont à l’abri de l’enrésinement organisé. Mais cette protection juridique ne leur permet pas d’échapper aux semis éoliens d’épicéas dont les plantules abondent par endroits, en particulier près des lisières des plantations et dans les parages immédiats des semenciers isolés (fig. 1.9 et 1.10). En l’espace de 25 ans, le nombre de ces plantules pourrait se voir multiplié par 5 (Marty 1990).
Les forêts de feuillus
– Les hêtraies
Sur le Haut-Plateau et dans notre quadrillage, la hêtraie acidophile à Luzule blanche, caractéristique des forêts des sètchamps (Bouillenne 1966), ne couvre plus guère qu’une part d’un seul massif, celui du Rurbusch, au nord de la vallée de la Rur et en bordure de deux réserves naturelles, la Herzogenvenn au sud-ouest et la Schwarzes Venn à l’est (Drèze et Schumacker 1986 : 198 à 215). 108 ha de ce lambeau forestier sont protégés, bénéficiant du statut de Réserve forestière domaniale (Goffinet 1989).
Très riches en épiphytes (mousses, hépatiques, lichens; Goffinet 1989, Schumacker 1998), les vieux hêtres de cette forêt – restaurée à la fin du XVIIIe siècle – ont quelques 200 ans et 25 mètres de haut, en moyenne (Noirfalise et Vanesse 1980). Le maigre sous-bois de la futaie héberge surtout, outre la Luzule blanche, la Canche flexueuse, des myrtilles et, plus rares et dispersés, des plants de Sorbier des oiseleurs et de Bouleau verruqueux. Quant aux plages de Fougère-aigle, c’est dans les dernières trouées qu’il faut les chercher (Goffinet 1989). Celles-ci sont rares, car la majorité des clairières, qui ponctuaient encore cette forêt en 1968 (fig. 1.11), furent presque toutes enrésinées (sur le versant nord du massif) ou replantées de hêtres (sur son flanc sud ; Goffinet 1989, Dahmen 1998).
– Les chênaies à bouleaux
Les chênaies n’occupent plus que quelques secteurs du Haut-Plateau (Schumacker et Streel 1994) et de la zone d’étude (Geitzbusch, Bongards, Stuhl; fig. 1.12), de même d’ailleurs qu’en périphérie de celui-ci (Fabri et Leclercq 1984).
Dans ces futaies, le Chêne pédonculé et le Bouleau pubescent constituent l’essentiel du peuplement, le Sorbier et le Tremble y sont rares (fig. 1.13 et 1.14). Ce sont aussi des forêts claires à molinies et myrtilles (Noirfalise 1984), provenant parfois, comme au Geitzbusch, de la dégradation de la hêtraie. Les chênes y ont par endroits – en particulier au Stuhl – plus de 100 ans et les lisières n’y ont pas le caractère rectiligne des plantations d’arbres.
– Les boulaies et les groupements arbustifs pionniers
Dans la seconde moitié du XXe siècle, des fourrés de saules – surtout le Saule à oreillettes – ont recolonisé en nombre certaines landes tourbeuses (Kutenhart, Allgemeines Venn,…; fig. 1.15) et certaines landes sèches (Grande-Fange, secteur de Croix-Mockel à Brochepierre,…). Dans celles-ci, ces formations buissonnantes, avant-garde des forêts claires, se développent mieux dans les plages à Myrtille commune que dans celles où domine la Callune (Adriaens 1991). De son côté, le Bouleau pubescent réussit mieux sur les sols tourbeux peu ou non drainés (ibidem).
La comparaison des cartes de végétation, dressées à 25 ans d’intervalle, montre bien cette évolution (Jortay et Schumacker 1988, Adriaens 1991), que confirme l’examen de photographies aériennes plus récentes (Ghiette et al. 1995).
La boulaie peut ainsi, en quelques décennies, recoloniser les zones dévastées par les incendies de tourbe ou laissées à elles-mêmes, depuis que l’homme n’y amène plus ses troupeaux ou n’y pratique plus une agriculture extensive (cultures temporaires, fauchage, …; Froment 1968 et 1969). Mais au sein de la Réserve naturelle, le taux d’immigration d’espèces ligneuses varie beaucoup : il peut être très discret, comme dans la fagne des Deux-Séries, ou au contraire très élevé, comme dans une partie des fagnes du Nord-Est (Adriaens 1991).
En forte densité, les bouleaux ont par ailleurs tendance à former des peuplements presque purs, en limite desquels d’autres espèces, comme les saules, peuvent néanmoins développer d’épais fourrés (Noirfalise 1984, Marty 1990; fig. 1.16 et 1.17). En faible densité, une telle organisation spatiale n’est toutefois plus perceptible, et les groupements arbustifs pionniers ont dans ce cas une répartition à géométrie très variable.
Les boulaies tourbeuses, où le Bouleau pubescent domine sans conteste et où il ne s’élève guère à plus de 15 m (Noirfalise 1984, fig. 1.18), forment aussi des îlots au sein de certaines landes très ouvertes, comme le Drèlô en fagne Wallonne (fig. 1.19), fort apprécié des Tétras (Ruwet et al. 1997).
– Les aulnaies
Les bois d’Aulne noir sont très localisés, comme en fagne Wallonne, à l’Oneux, où l’espèce a généré le toponyme.
Plantés autrefois dans les fagnes du Nord-Est par l’administration prussienne comme coupe-feu, les Aulnes blancs se maintiennent encore aujourd’hui dans le secteur du Misten, le long de la route Eupen – Mützenich, et dans quelques endroits des Puzen, des sources du Getzbach et de la Vesdre (Collard et Bronowski 1977).
– Les sorbaies
Sauf dans les tourbières actives où il est absent, le Sorbier des oiseleurs est commun sur le Haut-Plateau. Après un incendie, la minéralisation du sol aidant, il se propage fort bien, à l’instar du Tremble (Noirfalise 1984). Mais c’est plutôt un individualiste, car il ne forme guère de bosquet qu’au Groneux (en fagne Wallonne), où le sol limoneux, dépourvu de tourbe, lui convient et où un jour il cédera sans doute le terrain à la hêtraie (Marty 1990).
2 – 2 Les milieux ouverts
Avant l’intégration à la Réserve naturelle domaniale des fonds de vallées humides, les tourbières dégradées et les landes tourbeuses constituaient l’essentiel des milieux ouverts de cette réserve, les landes sèches ayant souvent été enrésinées. Celles qui subsistent, et qui présentent deux faciès différents, conservent néanmoins plus d’un atout pour l’avifaune, en particulier pour des espèces comme le Tétras ou l’Engoulevent.
– Les landes sèches
Sur sol perméable, non tourbeux, les landes sèches à Callune et myrtilles occupent les secteurs déboisés des sètchamps ou, dans les fagnes du Nord-Est, les rebords des multiples palses. Ces landes peuvent couvrir des zones assez étendues, en particulier dans la Grande-Fange, ou en fagne des Deux-Séries, entre les lieux-dits Brochepierre, Croix-Mockel et Belle-Croix. Plus modestes, elles sont aussi bien présentes au Durèt, au Noir-Flohay (fig. 1.20) et dans d’autres secteurs des Hautes-Fagnes (Jortay et Schumacker 1988 b). Mais les cartes détaillées de recouvrement en éricacées, comme celles relatives à la fagne du Setay (Charlet 1997), ou aux arènes de Tétras (Keulen et al. 1997), n’existent pas encore pour l’ensemble de cette réserve.
Les landes sèches à Fougère-aigle représentent un autre groupement végétal, que distinguent une composition floristique très pauvre (Adriaens 1991) et une physionomie simple. Sur sols secs, ou assez secs, les plages fermées de cette fougère – bien visibles sur les photographies aériennes en fausses couleurs – peuvent couvrir une superficie notable et atteindre 2 m de haut. C’est le cas dans les landes occidentales du Kutenhart (Jortay et Schumacker 1988 b). En fagne des Deux-Séries, ses plages sont aussi bien présentes en bordure de la chênaie du Geitzbusch (fig. 1.14) et aux abords du bouquet de hêtres de Croix-Mockel. Les litières de cette fougère constituent par ailleurs une barrière naturelle au reboisement, car elles freinent la germination et la levée des plantules de bouleaux et de saules (Adriaens 1991).
– Les landes tourbeuses
La genèse et l’extension des landes tourbeuses à Bruyère quaternée et Scirpe cespiteux ont pour origine le déboisement des chênaies à bouleaux et leur fauchage ultérieur (Froment 1969, Damblon 1997 b). Mais le drainage intensif et l’abandon du fauchage et du pâturage y favorisèrent ensuite l’important développement des molinies au détriment des autres espèces (ibidem). Une lande illustre fort bien cette évolution : la fagne des Deux-Séries (Wastiaux et Schumacker 1991; fig. 1.21 et 1.22).
Dans les fagnes du Nord-Est, les chapelets de palses (ou lithalses), et leurs rebords secs encadrant de petites tourbières actives, forment avec ces landes tourbeuses des mosaïques originales de milieux hybrides. Dans ce complexe de landes, les territoires de certains petits passereaux peuvent ainsi chevaucher différents milieux. Dans d’autres fagnes, comme celle des Deux-Séries, où les dimensions des différents habitats sont en général plus grandes, leurs territoires peuvent s’inscrire à l’intérieur d’un seul milieu.
– Les tourbières actives
Au tournant du XXIe siècle, les tourbières hautes actives ne subsistent plus qu’au cœur de la fagne Wallonne, de Cléfaye et du Misten, où elles couvrent environ 125 ha (Jortay et Schumacker 1988 a), alors qu’il y a moins de 500 ans, leur superficie dépassait encore plus de 1000 ha (Frankard et Hindrycks 1998).
En l’espace de 30 ans, depuis la création de la réserve en 1957, leur superficie s’est réduite de 10 à 20 % (Jortay et Schumacker 1988 a) et la composition de leur végétation s’est altérée par endroits : des plantes productrices de tourbe ont cédé du terrain (Hindrycks 1989 et 1990, Frankard et Hindrycks 1998).
Un autre type de tourbière et leurs dépôts colmatent les dépressions des centaines de palses (ou lithalses; fig. 1.23; Froment 1964). Ourlées d’un rebord d’environ 1 m de haut, ces curiosités géologiques circulaires, ou (selon la pente du terrain) de forme plus étirée, gaufrent une partie du paysage fagnard, en particulier dans la Brackvenn et le Steinley (Drèze et Schumacker 1986, Pissart 1999).
– Les bas-marais acides
Dénommées aussi tourbières basses, ces formations toujours mouilleuses – surtout des cariçaies et des jonchaies – ne se développent en général que sur de modestes surfaces (Frankard 2000). Dans une partie des fagnes du Nord-Est, par exemple, elles n’occupent qu’une quinzaine d’ha pour une surface étudiée d’environ 654 ha (Jortay et Schumacker 1988 b). Il est rare aussi qu’elles couvrent plus d’un hectare d’un seul tenant. Sur le plateau des Hautes-Fagnes, les bas-marais les plus étendus s’observent là où la pente du terrain est faible, soit dans la partie supérieure des ruisseaux ou dans certaines vallées (fig. 1.24) .
Ailleurs, plus clairsemés, ces milieux marécageux peuvent former d’étroits cordons au contact des tourbières – en fagne Wallonne par exemple -, ou des plages allongées comme dans les Trôs-Brôli. Ils s’observent aussi dans les anciennes fosses d’extraction de tourbe et dans les zones de suintements des sources (Frankard 2000).
D’un point de vue ornithologique, ce sont les prés de fauche humides non amendés des fonds de vallée qui – on le verra par la suite – présentent le plus d’intérêt (fig. 1.25 et 1.26). Leur cortège floristique est aussi beaucoup plus riche (ibidem).
– Les prairies
Les prairies amendées sont surtout localisées en périphérie de la zone d’étude : dans le secteur des Fermes en fagne, à l’ouest de la Grande-Fange (fig. 1.27), et dans le domaine du Rurhof, à Sourbrodt. Par endroits, ces parcelles sont bordées de haies d’aubépine ou, dans la vallée de la Rur, jouxtent une drève de vieux Epicéas.
En 1985, le départ du dernier exploitant des Fermes en fagne a entraîné l’abandon du fauchage régulier des prairies. Durant notre enquête, certaines d’entre elles furent néanmoins encore fauchées en 1989 et 1990.
– Divers
- Constructions
En plus des fermes précitées (démolies au début des années 1990), la zone étudiée comporte quelques bâtisses isolées (maisons forestières, restaurants, station scientifique), refuges pour l’avifaune anthropophile le long des grands axes routiers. A cela, il faut encore ajouter quelques rares pavillons forestiers – parfois anciens (fin du XVIIIe siècle pour celui de Porfays) – au sein même des massifs boisés et, à l’extérieur de la Réserve naturelle domaniale, une série de miradors susceptibles d’attirer l’un ou l’autre couple de Rougequeue noir.
- Voies de pénétration
Sur le Haut-Plateau, le réseau routier et les pistes d’exploitation forestières s’articulent, et se ramifient, autour des deux principaux axes, les routes nationales N 67 et N 68 (fig. 1.28). Grâce à ce réseau, certains secteurs de la Réserve naturelle sont plus accessibles aux touristes et, de ce fait, plus exposés que d’autres au dérangement (e.a. Anonyme 2004 b). Les chemins forestiers, souvent asphaltés, deviennent d’ailleurs de plus en plus attractifs pour le cyclotourisme.
Les zones de parcage, qui ont aussi tendance à se multiplier sur ce plateau, sont source de déchets, et parfois de nourriture pour les corvidés.
- Rochers
Dans les Hautes-Fagnes, les falaises rocheuses sont fort rares. La rive droite de la Helle, en amont de son affluent le Spoorbach, présente un de ces éperons, fort abrupt, au lieu-dit Herzogenhügel.
A suivre …
Copyright : Etudes & Environnement asbl
Instructif et complet.
Merci.
Je vous remercie pour votre intérêt.